La réponse de Lux a fusé, rapide, directe, sans hésitation. Violet. Lucia ne s’attendait à aucune réponse en particulier, n’ayant aucun a priori sur le sujet ni sur Lux, bien évidemment. Pour la Selenim, le violet évoquait une couleur riche, profonde, étrange, également, peu commune quand bien même on trouvait absolument toutes les couleurs possibles dans la nature même. Elle savait que sa question en apparence anodine avait dû provoquer quelques tourbillons dans l’esprit de sa compagne d’un soir. Elle n’était pas née de la dernière pluie, après tout, et ce jeu des questions-réponses, elle y avait joué dès qu’elle avait été en âge de parler. On pouvait apprendre bien plus sur une personne en la faisant parler de menus détails qu’en lui posant directement les questions dont on souhaitait savoir les réponses. Et elle laissa même échapper un petit rire quand Lux supposa qu’elle avait pensé au rouge. Elle secoua la tête et but une nouvelle gorgée de champagne.

« Détrompez-vous. Il se trouve que le rouge, à mon époque, était la couleur des dessous portés par les prostituées. Je n’en portais pas à l’époque pour cette raison mais aujourd’hui, cette couleur me rappelle toujours le secret et l’insoumission silencieuse plutôt que la bête passion. »

Elle se remit à manger en attendant que Lux trouve la question idéale à lui poser. Elle avait déjà décidé de ne pas mentir. De toute façon, il n’y avait rien dans sa vie dont elle avait honte ou qu’elle ne pouvait assumer, ni même rien qu’elle ait envie de cacher à son vis-à-vis, que de toute façon, en tout état de cause, elle ne reverrait probablement jamais… Finalement, Lux lui demanda quel était son repas préféré, et Lucia releva les yeux, prête à répondre, lorsque sa compagne l’interrompit, pour ajouter un peu de piment à ce qui devenait petit à petit plus qu’un simple jeu. Elle considéra la proposition quelques secondes, puis hocha doucement la tête.

« Cela me convient, tant que le gage en question n’implique pas la violence. Mais je ne crois pas que cela soit votre genre, n’est-ce pas ? »

C’était peut-être paradoxal, mais la Selenim, qui brisait son compte de vies au tribunal et qui n’hésitait jamais à marcher sur les pieds des autres pour faire avancer sa propre carrière, détestait la violence physique sous toutes ses formes. Bien évidemment, elle n’aimait pas la violence dirigée contre elle, mais elle détestait également y faire usage, d’ailleurs ce n’était pas son genre et encore moins son talent, il fallait bien l’avouer. Sa conversation avec Lux jusqu’à présent lui avait donné quelques indices sur la personnalité de la jeune femme, qui semblait bien trop fine et futée pour être du genre à vouloir aller casser des bras et voler des portefeuilles dans la rue en guise de gage, mais malgré tout, elle préférait être claire dès le début, toujours pour entretenir l’honnêteté qui s’était naturellement installée entre elles.

« Mon repas préféré, eh bien… Mon cœur sera toujours en Italie de ce point de vue-là et j’adore la cuisine méditerranéenne, les légumes d’été légèrement grillés, accompagnés d’un poisson à la chair bien tendre et d’un verre de vin blanc… »

Elle baissa ostensiblement les yeux sur son assiette, qui ressemblait fortement à ce qu’elle venait de décrire, et ce n’était pas un hasard, même si cette nourriture, aussi bonne soit-elle, n’avait rien à voir avec ce qu’elle mangeait à la cour de Milan, du temps où tout était frais et véritablement biologique. Et puis, les Canadiens ne connaissaient savaient pas ce qu’était une bonne huile d’olive…

Elle prit le temps d’avaler encore une bouchée de son plat avant de lancer sa deuxième question.

« Pouvez-vous me raconter un de vos bons souvenirs ? Quelque chose de simple, bien sûr, pas forcément d’intime. »

La simple vision d’un ciel d’orage pouvait être, après tout, un bon souvenir, ou passer devant un étal de fruits et se sentir portée par une senteur rappelant des temps heureux. Mais bien sûr, Lux pouvait à tout moment interrompre le jeu…